Ginny & Georgia, disponible sur Netflix

Ginny est toxique, mais ginny n’est pas georgia.

Croyez-moi, un petit coup de baguette magique des scénaristes, et elle pourrait même pull off un arc narratif aussi formidable que celui de Zuko dans Avatar: Le dernier Maître de l’Air.

Après l’annonce de ce troisième confinement un peu bâtard, j’avais le choix entre sombrer dans l’accablement comme nombre de mes proches, ou me distraire un bon petit coup. Je n’ai jamais caché mon addiction à l’industrie de l’entertainment ni mes très mauvais mécanismes d’adaptation. Aussi après beaucoup hésité à regarder Ginny&Georgia sur Netflix, je me suis finalement lancée. Seulement voilà : j’y ai passé toute ma nuit, bien trop captivée par cette série pour m’arrêter avant la fin. Et il faut à tout prix que je vous parle du personnage de Ginny.

[ Avant de me lancer dans l’explication du pourquoi du comment ce personnage central est aussi bien écrit qu’il est (pour l’instant) détesté sur la toile, permettez-moi de vous prévenir qu’il y aura plusieurs spoilers dans cet article, et qu’il sera plus facile de suivre et comprendre si vous avez déjà les personnages et la trame de G&G en tête. ]

G&G est une série centrée principalement sur une mère et sa fille (+un petit frère mais on ne va pas en parler ici), fraîchement arrivées dans une petite ville bourgeoise après le décès d’un riche mari (et beau-père). Croisement parfait entre Gilmore Girls et Desperate Housewives, la série reprend les codes et personnages caractéristiques de ces deux feuilletons majeurs de la télévision américaine (Joe le barman, les mères rivales à la sortie d’école, le maire trentenaire attirant et célibataire, le boyfriend parfait vs le lone boy mystérieux…). Georgia et Ginny, quant à elles, détonnent avec leur passé particulièrement mouvementé et dramatique, et c’est bien là l’intérêt de G&G : sous son aspect de comédie, il s’agit d’une représentation juste de la violence familiale dans son spectre le plus vaste, et peut-être même le plus sincère.

D’abord, il faut l’admettre, Ginny est au premier abord franchement insupportable et incarnerait presque le cliché parfait de l’adolescente en pleine crise de rébellion. Mais G&G n’est pas une énième sitcom attendue sur le passage à l’âge adulte. Certes, Ginny crie, Ginny pleure, Ginny blesse et Ginny ment. Mais Ginny n’est pas sa mère, Georgia, et c’est peut-être le point le plus essentiel à toute cette histoire. Et c’est pour cela que je ressens ce besoin de prendre sa défense : elle ne peut se résumer à la somme des comportements toxiques qu’elle a récoltés en grandissant. Elle est bien plus que ça. She has to be.

On pourrait vraiment détester et blâmer Ginny pour systématiquement réagir de la pire des manières possibles. Mais cela implique de ne pas prendre en compte l’influence de Georgia sur la construction de son caractère et surtout de ses mécanismes de défense. Georgia est une mère incroyable, on ne peut que louer sa force de caractère et son courage pour avoir eu sa fille à 15 ans et l’avoir élevée seule contre vents et marées. Mais Georgia est surtout pleine de failles, habilement dissimulées par un sourire des plus charmeurs et un culot bien assumé. Perpétuellement dans un état de « fight or flight », elle veut offrir à sa fille et son jeune fils la jeunesse à laquelle elle n’a jamais eu droit. Pour cela, elle est prête à tout, menaces, vols et meurtres compris.

Si j’éprouve une grande compassion pour Ginny, c’est parce qu’elle réalise au fur et à mesure des épisodes combien sa mère peut être dangereuse, tandis que sa propre vie sociale et amoureuse est chamboulée par des enjeux qu’elle ne sait pas maîtriser. Et quand bien même elle se dit aux antipodes de sa mère, ses mécanismes de défense sont en parfaite cohésion avec les enseignements de cette dernière. C’est ainsi que dans des états de stress intense, Ginny blesse ses proches la première et sans raison apparente, ce pourquoi il est aisé pour l’audience de compatir pour eux plutôt que pour elle. C’est pourtant la règle d’or de Georgia qui sert d’introduction au premier épisode : « Face à une abeille, sois toujours la première des deux à piquer ».

Mais Ginny n’est pas Georgia. Ginny est entourée de personnes particulièrement bienveillantes et compréhensives, loin des « abeilles » que sa mère a eu à affronter en grandissant. C’est tout le paradoxe de Georgia de vouloir offrir une vie plus simple à sa fille mais de ne lui donner que les codes acquis par une vie plus rude. Et c’est tout le paradoxe de Ginny à vouloir se différencier de sa mère mais n’être finalement en position d’attaque qu’avec les personnes qui l’aiment et la soutiennent, plutôt qu’avec ceux qui sont ses offenseurs direct, comme son ex beau-père ou encore son professeur raciste. Ginny ne sait pas reconnaître les abeilles, puisqu’on persiste à les lui cacher ou à lui conseiller de les ignorer.

La violence est un fil rouge dans G&G, elle est parfois physique, tantôt verbale tantôt silencieuse, souvent sous-entendue et généralement noyée dans de nombreux verres de vin. C’est une cascade qui démarre dans l’enfance de Georgia, qui prend une autre forme dans sa relation avec Ginny, et qui se transforme à nouveau dans les rapports de celle-ci avec elle-même et ses proches. Elle se caractérise également dans les rapports de Georgia avec sa propre soeur, ainsi qu’avec le petit Austin qui par conséquent devient violent à son tour à l’école.

Si on prend du recul sur Ginny, elle n’a eu pour seul exemple d’amour des parents qui se séparent dans des tempêtes à répétition, et sa mère qui persiste néanmoins à définir leur relation instable comme le grand amour. Aucune surprise alors de voir Ginny repousser Marcus de toutes ses forces quand il est aisé de voir en cette attirance des points communs avec la dynamique entre Georgia et Zion. Aucune surprise également de la voir éprouver de la difficulté à s’épanouir avec Hunter alors qu’il est « parfait » (c’est lui qui le dit) pour elle. Son père l’aime très fort, cela ne l’empêche pas de disparaitre régulièrement – et de l’abandonner. Daddy issues, oui, mais laissons la blague de côté et acceptons que cela peut créer une réelle impression de ne pas mériter l’attention que l’on reçoit, de ne pas être suffisamment bien. Et ainsi Ginny ruine encore une fois une relation sans raison apparente.

De même pour ses amies. Ginny mentionne à plusieurs reprises n’en avoir jamais eu auparavant, à force de déménager. A Willsburry, elle ressent pourtant pour la première fois un sentiment d’appartenance et de bienveillance générale. Elle intègre un petit groupe et les dynamiques internes se révèlent chamboulées par son arrivée. Georgia n’a pas d’amis. Georgia ne lui a pas appris, ne lui a pas montré, et n’a pas forcément les meilleurs conseils. Alors Ginny se comporte de manière nombriliste, cherche la validation là où elle espère la trouver – sa relation avec Hunter est même basée là-dessus. Et bien sûr tout cela finit par lui retomber dessus. Encore une fois, elle n’avait pas les codes, puisqu’on ne les lui a jamais donnés.

Si j’éprouve une grande compassion pour Ginny, c’est peut-être aussi parce que je peux facilement trouver de nombreux points communs entre sa situation familiale et la mienne. J’ai réalisé avec le temps toute la violence que j’ai pu moi-même internaliser en grandissant témoin de nombreux actes toxiques et contrainte à les voir banalisés voire ignorés. A moi aussi il en a fallu du temps et des amitiés perdues bêtement, pour que je réalise à quel point il m’était vital de fuir ce cercle vicieux. Et c’est d’ailleurs ce que fait Ginny à la fin de la saison. Je n’ai certes pas hurlé au visage de ma mère comme Ginny peut le faire sur Georgia, mais le self-harm est, effectivement, un moyen de retrouver une sensation de contrôle. Dangereux et de dernier recours, mais un moyen silencieux qu’on peut cacher aux autres. Et d’autres personnages (Marcus, Abby…) y sont aussi confrontés. Le fait que ça soit montré dans la série sans glorification particulière, est très important, parce que c’est reconnaitre la problématique pour ce qu’elle est, et non pas pour choquer ou culpabiliser encore plus l’audience concernée.

Réapprendre à vivre avec une approche bien plus compatissante et bienveillante des autres, de soi-même et de l’inattendu est un travail long et fastidieux, mais néanmoins terriblement nécessaire. Et ce, non pas qu’à l’adolescence, mais tout au long de sa vie. J’espère qu’on nous donnera l’occasion de voir Ginny réaliser cela. J’espère la voir transformer ses relations en quelque chose de bien plus honnête et sain. J’ai la sensation, après le dernier épisode, qu’elle est sur la bonne voie. Elle y confronte son professeur raciste, sauve sa mère de ses secrets, et quitte l’environnement qui lui est toxique. Ginny commence à s’émanciper, Ginny commence surtout à reconnaître les abeilles. Et les siennes sont bien différentes de celles de Georgia.

Ginny & Georgia, Saison 1 (10 épisodes), 16+, disponible sur Netflix, 2021.

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