J’ai fait une dépression, et je fais une rechute.

Et si on arrêtait avec les stigma sur la santé mentale ? Et si on s’autorisait à en parler sans honte ? Parce que guérir, ça se fait comme on apprend à faire du vélo : en tombant, en se relevant, tout cela plusieurs fois avant de réussir à trouver l’équilibre pour filer droit.

Et ça se fait rarement seul.e, c’est là le hic.

En primaire, entre l’école, le sport et le conservatoire, ma mère jonglait également avec des rendez-vous médicaux multiples pour tenter de comprendre pourquoi j’avais ces douleurs récurrentes à la poitrine m’empêchant de respirer, et pourquoi j’avais des fuites urinaires à un âge où on sait normalement se retenir suffisamment pour aller aux toilettes. « On ne sait pas », disait-on. « C’est peut-être de l’anxiété ».

Au collège, les fuites urinaires n’arrivaient que la nuit, et on ne me punissait plus à la maison – on avait compris que je ne faisais pas exprès, par contre on m’a emmené voir plusieurs fois une psychomotricienne, fait enregistrer les pulsations de mon coeur pendant 24h et : rien. J’ai aussi eu une excroissance à la main, ça a fait des vannes sur mon « 6e » doigt – les médecins ont dit que ça se résorberait tout seul, et ils ont eu raison.

Au lycée, plus de soucis urinaires. Ca ne s’est pas arrêté par magie, on a simplement déménagé et je n’avais plus peur de réveiller tout le monde en allant aux toilettes. Et puis en journée j’avais une organisation bien rôdée pour aller scrupuleusement « me repoudrer le nez » (cette expression est fabuleuse) à chaque intercours/récréation. Le coeur aussi m’a laissée tranquille, étrangement. On n’a pas trouvée d’explication là-dessus. Par contre, l’immense segment de peau sur mon mollet à l’allure brûlée qui est apparu du jour au lendemain a même laissé coi une dermatologue (très coûteuse). La tâche a fini par disparaitre après quelques années. Mon sommeil est parti en vrille, pire qu’avant. Je me suis mise à faire des pompes pour réussir à m’effondrer sur mon lit. J’ai quitté le lycée au milieu de mon année de terminale. J’ai sombré sans que personne ne le remarque.

A la fac, j’ai du apprendre à gérer mes TCA (troubles du comportement alimentaire) sans que quiconque ne s’en aperçoive à la maison. Mon corps ne changeait pas en apparence, mais dans ma tête c’était un tout autre ramdam. Mon coeur a recommencé à faire des siennes. On ne cherchait plus de réponse auprès des médecins. Nous avions tous accepté depuis longtemps que « Léa faisait des choses bizarres parfois ». Et puis mon chat est décédé.

J’ai commencé à travailler. Tout se passait bien, jusqu’à ce que certains membres de mon équipe partent et les remplaçant.e.s m’aient dans le viseur. J’ai réalisé plus tard devant mes fiches de paie que sur les six derniers mois avant mon départ, j’étais absente un week-end sur quatre. Je ne travaillais que les week-ends. Ca n’était pas tant le harcèlement sur place, mais une ambiance anxiogène (vous l’avez ?) qui me rendait littéralement malade.

Quand j’ai commencé mes études de journalisme, tout semblait être rentré dans l’ordre. En vérité, j’avais trouvé de superbes parades. Pour contenir mes TCA en cage, j’avais arrêté de manger de la viande (un jour je vous raconterai comment ça a fonctionné pour moi). Pour mon sommeil, j’écoutais de la musique en boucle toute la nuit ou regardais des séries/films sur mon ordinateur jusqu’à tomber de fatigue. Oh j’aurais pu passer ce temps à étudier… Mais non. Les devoirs c’était source d’angoisse (vous l’avez ?), alors que les belles histoires, je pouvais en faire des critiques en cours ou en partiels. Pratique finalement.

Je suis partie 6 mois en Corée du Sud et je me suis effondrée loin des regards. J’ai cru fuir mes problèmes, mais ils m’y ont suivi. J’ai passé des semaines à m’endormir à 5h du matin après le lever du soleil (j’avais une très belle vue sur Séoul depuis mon dortoir) pour aller en cours à 9h. Personne ne m’a vue sur les toits me demander ce qu’il adviendrait si je venais à… Personne ne m’a vue en août. J’ai rangé ce mois dans une case de ma tête en me promettant de ne plus jamais tomber aussi bas. Si j’écris cet article, c’est parce que je n’ai pas tenu cette promesse.

En 2020, j’ai enfin quitté la maison familiale. J’avais trouvé un travail en temps plein. Mais au même moment, alors que je découvrais la liberté d’avoir un « chez moi » près de Paris, il y a eu le covid. Les confinements. Beaucoup de changement au travail. Beaucoup de changements en moi. J’étais seule, je n’étais plus obligée de prétendre aller bien, je me suis effondrée.

Ca ne s’est pas fait d’un coup, parce que j’ai pris ça au sérieux. Ma généraliste m’a dit d’aller voir une psychologue. J’ai commencé à faire des attaques paniques. Ma généraliste m’a fait faire prise de sang, IRM, et même une échographie de la tyroïde. Elle a conclu à de l’anxiété (qui l’eut cru ?) et m’a prescrit des gellules pour le stress. Plusieurs mois plus tard, j’ai fini par péter un boulon, et prendre rdv chez une psychiatre.

« Vous n’êtes pas en dépression, par contre vous avez un trouble anxieux » qu’elle m’a dit. J’ai un peu rigolé au fond de moi-même. Mais ça n’était pas drôle. Les 140e qu’elle m’a demandés n’étaient pas drôles non plus. J’ai commencé un traitement. Une semaine plus tard j’ai posé un arrêt au travail sans penser qu’il serait renouvelé sur 5 mois.

J’ai suivi plusieurs traitements, dont un qui a failli m’envoyer aux urgences. J’avais envie de disparaître et de tout abandonner. Aujourd’hui je ne saurais pas vous dire en quoi ils m’ont aidée. Ils m’ont juste transformée en légume, un légume que mon copain de l’époque a porté à bout de bras en sacrifiant beaucoup, juste pour me garder en vie. C’était ça ou la maison de repos. La maison de repos c’était un poids financier énorme, et une certitude qu’on m’y abandonnerait.

Un jour, j’ai décidé qu’il était temps de me reprendre. En fait, j’ai regardé la Saison 4 de Stranger Things, j’ai pleuré comme une madeleine devant la fameuse scène entre Max et Vecna (si vous savez, vous savez – et s’il vous plait, sachez). Et je me suis dit que j’allais m’en sortir pour ces personnes que j’aime tant. J’ai foncé comme elle, et j’ai décidé de me forcer à trouver du beau à nouveau dans la vie.

Je dois la vie à une scène très spécifique dans une série très spécifique que j’ai vue à un instant très critique de mon existence.

Et pourtant.

Pourquoi ?

Aujourd’hui je suis de retour au travail. Ma famille se porte bien. Je renoue avec certains d’entre eux. J’ai des ami.e.s formidables. Mais je n’ai plus aucun suivi par ma psychiatre qui a décidé que je n’avais plus de valeur dès lors que j’ai voulu arrêter les antidépresseurs. Aujourd’hui c’est ma psychologue qui s’inquiète et s’organise pour me trouver une place auprès d’un psychiatre qui a sa confiance. Parce que je ne sais plus pourquoi je suis encore là. J’ai perdu le sens du « pourquoi ». Et c’est une pente dangereuse.

L’anxiété revient, la dépression n’est pas partie, les hobbies disparaissent, le vide s’installe. Je rechute. Je vois bien que je rechute. Et cette fois je le dis partout, même à celleux qui n’en ont rien à faire, je le dis à ma famille qui ne sait pas quoi faire, je le dis à mon travail qui ne sait plus quoi faire, je le dis à mon chat et il me mord pour me sortir du lit chaque matin.

Je trahis ma promesse à Séoul. Je trahis cet homme qui a veillé sur moi pendant des mois, je trahis toutes les personnes qui voient une quelconque valeur en moi, pour une raison x ou y.

Mais je crois que c’est comme ça. It’d be like that sometimes. Je n’ai toujours pas trouvé l’équilibre. Il n’y a rien d’honteux à avoir du mal, à ne pas réussir du premier coup, à être meilleur conseiller pour les autres que pour soi-même. Il n’y a rien d’honteux à avoir un trouble mental, à ne pas avoir le bon suivi, à faire de son mieux et bien voir que le mieux n’est pas suffisant.

J’aimerais y arriver. J’aimerais que ça ne soit plus utopie. J’ai fêté mes 27 ans il y a quelques semaines, et je n’ai pas vu le temps passer. Je suis dans mon ère « Charlotte Lucas », et c’est comme ça. Je continue d’essayer de trouver du beau dans la vie, j’ai quitté certains réseaux sociaux, j’ai acheté des places de concert pour me donner envie de tenir le coup, un peu, encore un peu. Un jour, je retrouverai mon « pourquoi ».

Pour le moment il me fuit, et je n’ai pas la force de lui courir après. Il reviendra. Ensemble, peut-être qu’on réussira à filer droit. Du moins, on ne pourra pas dire que je n’ai pas essayé.

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